Une entorse supplémentaire au principe de la prescription des crimes : l’arrêt de la cour de cassation du 7 novembre 2014.

Le principe de la prescription, principe général du droit applicable dans la plupart des démocraties modernes, constitue l’un des fondements de notre système juridique : déperdition des preuves, sanction de l’inaction des autorités, droit à l’oubli, autant de justifications qui semblent aujourd’hui remises en question par l’évolution de notre droit positif.

Au premier abord, le principe est simple : si aucun acte de poursuite n’a interrompu la prescription, les crimes se prescrivent par dix ans à compter de leur commission, les délits par trois ans, et les contraventions par un an.

Les exceptions tendant à repousser le point de départ de cette prescription, sont cependant devenues de plus en plus nombreuses au fil du temps, et l’arrêt rendu le 7 novembre dernier par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation s’inscrit dans cette évolution, à tel point qu’on peut se demander si le principe n’est pas devenu l’exception.

Outre les exceptions liées à la spécificité de certaines infractions (imprescriptibilité des crimes contre l’humanité par exemple) on savait déjà que pour nombre d’infractions, le point de départ du délai de prescription n’était pas celui de la date de la commission des faits, mais celui de leur découverte (délits d’abus de biens sociaux ou abus de confiance) ; le point de départ du délai de prescription pouvait également dans certains cas être repoussé plusieurs années après la commission des faits (pour certains crimes ou délits commis sur un mineur par exemple, le point de départ de la prescription est repoussé à la majorité).

Or, dans l’arrêt du 7 novembre 2014, la Cour de Cassation, consacre un principe qui bat en brèche le principe même du point de départ de la prescription. La Cour énonce ainsi qu’en matière criminelle, le délai de prescription est suspendu dès lors qu’un obstacle insurmontable rend les poursuites impossibles.

Dans cette affaire, une mère était soupçonnée d’avoir tué ses huit enfants à leur naissance. Il avait cependant fallu attendre plus de dix ans pour que la mort de nouveau-nés soit découverte, soit un délai qui rendait en principe ces crimes prescrits. En effet, les grossesses successives étaient passées inaperçues, masquées par l’obésité de la mère. Aucune des naissances n’avaient été déclarées à l’état civil et les cadavres étaient restés cachés.

La Cour de Cassation retient dès lors que « nul n’a été en mesure de s’inquiéter d’enfants nés clandestinement, morts dans l’anonymat et dont aucun indice apparent n’avait relevé l’existence ». La Cour conclut par un attendu de principe, qu’il a été « caractérisé un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » et que de ce fait « le délai de prescription avait été suspendu jusqu’à la découverte des cadavres ».

A la suite de cette décision, les personnes mises en cause, quel que soit leur crime ou délit, ne pourront donc plus se prévaloir de la prescription sans que ne soit posée la question de la possibilité qui était offerte au parquet de les poursuivre préalablement, question qui revêt nécessairement une part importante de subjectivisme.

La solution choisie par la Cour de Cassation conduit donc à se poser la question de savoir si la prescription recouvre encore une réalité quelconque, ou si elle n’est plus finalement qu’une chimère dont les juges seraient tentés de s’affranchir afin de répondre à la volonté générale.

Ce qui est particulièrement troublant dans cette affaire, ce n’est finalement pas tant la solution choisie en tant que telle. En effet, il est évidemment compréhensible que la justice décide de ne pas laisser impuni de tels crimes. En revanche, revient-il aux seuls juges d’édicter de tels principes ? Il est urgent que le législateur intervienne pour clarifier l’ensemble de ces règles.


LGAVOCATS